13/10/2025
Article sur la notion de crise psychique dans le monde du travail

Être « en crise psychique » au travail : de quoi parle-t-on vraiment ?

« Être en crise » dans le monde du travail, est-ce simplement traverser une période de stress intense ou s’agit-il d’autre chose de plus profond ? La question mérite d’être posée, à l’heure où la santé mentale au travail s’impose comme un enjeu majeur.
En 2025, la santé mentale a été érigée en Grande cause nationale en France, signe que le sujet n’est plus un tabou marginal, mais bien un défi collectif. De nombreux professionnels – DRH, dirigeants, managers, référents RPS/QVCT/RSE – sont confrontés à des salariés en détresse ou à des équipes au bord de la rupture. Dans cet article, nous nous penchons sur ce que signifie « être en crise » au travail : comment définir cette notion, quels constats dressent les études récentes, comment reconnaître les signes de souffrance psychique et, surtout, quelles actions concrètes mettre en place pour prévenir et accompagner ces crises.
Il s’agit de comprendre, sans dramatisation inutile, une réalité rigoureuse tout en offrant des pistes opérationnelles.

Stress intense ≠ crise : la rupture d’équilibre

La santé mentale au travail est devenue un enjeu national majeur (déclarée Grande cause nationale 2025 en France). « Être en crise psychique » au travail ne se résume pas à un stress intense passager : c’est un état de détresse profond qu’il faut comprendre pour mieux le prévenir et y faire face.

Un phénomène massif et encore tabou : où en sont les chiffres ?

Les crises de santé mentale au travail ne sont pas de rares exceptions – elles forment une tendance de fond préoccupante, au point qu’on parle d’une véritable crise silencieuse de la santé mentale au travail. Dresser un état des lieux chiffré permet de prendre la mesure du problème. Voici quelques repères clés issus de sources scientifiques et institutionnelles :

  • 40 % des salariés en France se déclarent en détresse psychologique, et plus de 70 % attribuent cette souffrance à leur travail. En clair, pour une majorité de personnes concernées, le travail est perçu comme le principal facteur déclenchant de leur mal-être.
  • Près d’un tiers des salariés présentent un mauvais état de santé mentale (score de bien-être dégradé), et 10 % souffrent d’un trouble psychique avéré tel qu’un épisode dépressif majeur ou un trouble anxieux généralisé (données Dares, 2024).
  • Chaque année, on estime que 12 milliards de journées de travail sont perdues dans le monde du fait de la dépression et de l’anxiété, soit l’équivalent d’un coût de 1 000 milliards de dollars en perte de productivité.
  • En France, les affections psychiques d’origine professionnelle officiellement reconnues ont bondi : +25 % entre 2022 et 2023. Plus de 10 000 accidents du travail liés à la santé mentale et environ 2 000 cas de maladies psychiques imputables au travail ont été enregistrés en 2023.

Ces constats convergent vers une même réalité : la dégradation de la santé mentale des travailleurs est devenue un enjeu de santé publique majeur. Personne n’est immunisé : tous les secteurs et niveaux hiérarchiques sont touchés – mais les femmes paient un plus lourd tribut (deux fois plus de cas).
Enfin, 70 % des Français considèrent encore la santé mentale au travail comme un sujet tabou : de nombreuses souffrances restent donc invisibles.
Il convient de noter que parler de santé mentale au travail ne revient pas à accuser le travail de tous les maux, mais à reconnaître que le travail structure la vie quotidienne et peut, en cas de conditions délétères, devenir un facteur de risque pour la santé mentale. À l’inverse, un travail épanouissant et bien régulé peut être un facteur de protection.
Toute la difficulté est de distinguer un mal-être passager, que l’on peut surmonter avec du repos ou du soutien ponctuel, d’une crise profonde nécessitant une attention soutenue. Or, trop souvent, l’expression de la souffrance reste taboue : 70 % des Français considèrent le sujet de la santé mentale au travail comme tabou, ce qui conduit nombre de salariés en détresse à souffrir en silence. C’est pourquoi il est crucial de savoir repérer les signes annonciateurs d’une crise.

À retenir :

La détresse psychologique au travail est massive : 40 % des salariés se disent en détresse et plus de 70 % imputent ce mal-être à leur travail. Environ un tiers présentent une santé mentale dégradée, dont 10 % avec un trouble psychique diagnostiqué. Les conséquences sont lourdes : 12 milliards de journées de travail perdues chaque année dans le monde, et en France +25 % de troubles psychiques liés au travail en un an.

Qu’entend-on par « crise » psychique au travail ?

L’ampleur des chiffres met en évidence une question essentielle : mais qu’appelle-t-on exactement une crise psychique au travail ?

Dans le langage courant, on parle de « crise » lorsqu’une personne « craque » nerveusement ou traverse un épisode de détresse aiguë. Concrètement, être en crise dans un contexte professionnel désigne un état de souffrance psychique intense dans lequel la personne se sent débordée et perd pied face aux difficultés du travail. Ce n’est pas un simple coup de stress passager, mais une rupture de l’équilibre mental habituel.

Comme l’expliquent les spécialistes, « le moral a ses hauts et ses bas. Mais quand on n’arrive plus à remonter la pente, on peut penser qu’on a basculé dans une crise psychique ».

Autrement dit, la crise est rarement un événement soudain et isolé : elle est le résultat d’un cumul d’événements et de tensions professionnelles qui finissent par dépasser l’individu, au point qu’il ne peut plus mobiliser ses ressources pour y faire face.

L’incapacité soudaine de mobiliser des ressources fait rupture dans le quotidien habituel professionnel pour l’individu lui-même et pour l’environnement de travail.

Il est important de souligner qu’une crise psychologique n’est ni un caprice ni un échec personnel. Chacun peut, à un moment ou un autre, atteindre un point de rupture où ses ressources d’adaptation sont dépassées.

Au cours d’une année donnée, près d’une personne sur cinq connaîtra un trouble psychique diagnostiquable – et le milieu de travail peut agir comme un catalyseur.

Dans le monde du travail, la crise individuelle peut se manifester par un épuisement professionnel (burn-out), une décompensation anxieuse ou dépressive, voire des idées suicidaires dans les cas les plus graves.

On évoque d’ailleurs que 10 % des suicides en France seraient liés au travail, soit près de 1 000 vies perdues chaque année.

À retenir :

Une crise psychique au travail dépasse le simple stress passager : c’est une détresse intense où la personne se sent submergée et perd pied. Ce n’est ni un caprice ni une faiblesse individuelle – tout le monde peut un jour atteindre son point de rupture.

Reconnaître les signes avant-coureurs de la crise révélatrice de souffrance psychique au travail

Une crise psychique ne survient généralement pas du jour au lendemain. Elle s’annonce par des signaux avant-coureurs, souvent appelés « signaux faibles », qu’il est crucial de savoir détecter.

Ces signes peuvent être :

  • Changements de comportement inhabituels : irritabilité soudaine, accès de colère ou de larmes sur le lieu de travail, isolement d’un salarié auparavant sociable, réactions émotionnelles disproportionnées…
  • Baisse marquée de la performance ou de l’engagement : une chute inexpliquée de la productivité, des erreurs inhabituelles, un désintérêt soudain pour le travail chez un collaborateur habituellement performant doivent alerter.
  • Symptômes physiques et cognitifs : la souffrance psychique peut s’exprimer par des troubles du sommeil (insomnies), une fatigue constante, des maux de tête ou de dos persistants, une perte d’appétit…
  • Signaux verbaux de détresse : confidences alarmantes (« Je n’y arrive plus… », « Tout ça n’a plus de sens… ») ou propos auto-dévalorisants.

Chaque signal pris isolément peut paraître anodin. Ce qui doit alerter, c’est la durée et la combinaison de ces signes, ainsi que leur caractère inhabituel.

Repérer ces signes précocement est essentiel pour intervenir avant qu’une vraie crise ne se déclenche.

A retenir : 

Une crise psychique s’annonce par des signaux d’alarme qu’il faut savoir détecter. Repérer ces signes permet d’agir avant la crise qui est bel et bien une rupture.

Causes : quand le travail mène à la crise

Il est rare qu’une crise au travail soit uniquement due à la fragilité d’un individu. Les causes sont le plus souvent multifactorielles, mêlant des facteurs personnels et surtout organisationnels.

On parle de risques psychosociaux (RPS) pour décrire les facteurs de travail susceptibles de nuire à la santé mentale.

Selon l’OMS, les risques psychosociaux (RPS) sont les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par une exposition à des conditions d’emploi, des facteurs organisationnels et relationnels en milieu professionnel susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental.

Ils incluent notamment : le stress chronique, les violences internes (harcèlement, conflits, pressions managériales agressives…) ou externes (incivilités, agressions de la part du public…).

L’exposition prolongée à ces RPS peut avoir des conséquences graves sur la santé des salariés : maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, troubles anxio-dépressifs, burn-out, etc.

À retenir :

Les crises au travail ne sont généralement pas la faute d’une fragilité individuelle, mais résultent de facteurs organisationnels multiples, appelés risques psychosociaux (RPS).

Prévenir les crises : cadre légal et stratégies d’action

La bonne nouvelle, c’est qu’on sait de mieux en mieux comment prévenir ces situations de crise. D’abord, en France, le cadre légal impose aux employeurs une obligation de sécurité vis-à-vis de leurs salariés.

Le Code du travail (art. L.4121-1) stipule que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

A retenir : 

La prévention des crises de santé mentale au travail est un devoir légal de l’employeur (Code du travail art. L.4121-1).

Agir face à une crise : la posture PROPULS’ orientée solutions

Malgré toutes les mesures de prévention, des situations de crise peuvent survenir. Comment réagir lorsque, par exemple, une équipe entière se retrouve en situation de souffrance collective, ou lorsqu’un salarié fait un burn-out ?

A retenir : 

En cas de crise, il faut réagir vite avec humanité et méthode : ne pas minimiser la situation ni blâmer le salarié en détresse.

Cas concret – Retour d’expérience chez un client : intervenir face à l’urgence

Lorsqu’une organisation issue d’une fusion récente a vu remonter massivement les signaux de souffrance – 65 % des salariés déclaraient une perte de motivation, plus d’un sur deux évoquait des troubles du sommeil, et près de 70 % signalaient une surcharge de travail – une expertise menée par le CSE et dans son prolongement une mise en demeure à l’entreprise de l’inspection du travail, la direction consciente de la gravité des constats, a décidé de faire appel à PROPULS’.

À retenir :

Dispositif d’écoute, engagement visible de la direction, comité de pilotage élargi, analyse qualitative, actions correctives et suivi : une démarche structurée et efficace pour restaurer la confiance.

Conclusion : faire de la crise un point de départ

Être « en crise » dans le monde du travail signifie traverser une détresse telle que l’équilibre personnel et professionnel se fracture.

Ce n’est pas qu’une affaire d’individus fragiles ou « incapables de gérer le stress » : c’est le révélateur d’un mal-être plus profond.

La bonne nouvelle est qu’il existe des leviers d’action concrets pour prévenir et gérer ces crises : développer une culture de prévention, former et écouter, ajuster le travail aux humains, intervenir rapidement et collectivement dès les premiers signaux d’alerte.

En tant que professionnels engagés, nous, équipe PROPULS’, avons la conviction qu’aucune situation n’est irrémédiable.

En brisant le tabou de la santé mentale, en parlant ouvertement de ce qui ne va pas et en mobilisant les bonnes compétences, il est possible non seulement d’aider les personnes en crise à se reconstruire, mais aussi de faire évoluer en profondeur le monde du travail.

Valérie LAGARDE

Valérie LAGARDE

Psychologue du travail - PROPULS'

Psychologue sociale du travail et consultante en management des risques, Valérie intervient depuis plus de 15 ans à la croisée des enjeux organisationnels et humains. Son parcours en direction d’entreprise lui a permis de développer une expertise fine des systèmes de management, qu’elle met aujourd’hui au service d’une prévention active des risques psychosociaux (RPS) et d’une amélioration continue des conditions de travail. Valérie explore un levier souvent sous-estimé : le rapport au temps. Entre surcharge, urgence chronique et flou dans les priorités, une mauvaise gestion du temps peut devenir un facteur de risque majeur pour la santé psychologique des collaborateurs. Depuis plus de dix ans, elle pilote des démarches d’évaluation des RPS et de Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT), en s’appuyant sur une équipe pluridisciplinaire. Son approche privilégie l’implication des acteurs de terrain, la structuration des pratiques managériales et la création de conditions de travail plus soutenables et équilibrées.

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